• Et merde, je suis narcissique

    Au fond, il est peut-être vrai que je suis assez narcissique…

    Non seulement il est vrai que j'aime contempler mon image dans un miroir (quelles qu'en puissent être les raisons), mais je suis de toutes manières très préoccupé par moi-même.

    J'écris un journal intime où je me raconte jour après jour. Je suis mon seul lecteur. Ce matin j'ai passé ma matinée à parcourir ce que j'y écrivais il y a un an exactement : je me replongeais dans mon moi passé.

    Lorsque je relis des passages de mon blog, je fais la même chose.

    Lorsque je me dessine, c'est bien entendu pour l'exercice, cependant l'observation de soi est un trait du narcissisme…

    Lorsque je voudrai être un génie, que j'ai la folie des grandeurs, c'est à propos de moi : je veux que mon moi soit immense et remarquable…

    Lorsque je me crache dessus, que j'ai honte de ce que je suis, que j'aimerai me foutre des baffes, c'est toujours à propos de moi, j'en suis toujours à penser à moi…

    Donc : je pense à moi, j'écris sur moi, je dessine ce moi… Je photographie ce moi ! Puis je regarde ces dessins, je regarde ces photographies, je relis ces écrits, je relis ces pensées… Je baigne dans "moi". C'est d'un narcissisme presque outrancier… Cela fait longtemps que je me suis noyé dans le lac.

    J'ai dit que ce matin j'ai relu mon journal intime : j'ai passé la matinée à observer le moi d'il y a un an… C'est terriblement auto-centré.

    Et, quelque-part, je suis vraiment comme Narcisse qui se noie dans le bain de sa propre image : car mon image, mon moi, est comme une bulle qui m'abrite… Une bulle dans laquelle je contemple mon reflet déformé, et qui m'abrite du monde… Des autres.

    Je suis peut-être trop préoccupé par moi-même pour m'ouvrir aux autres. Je suis Robinson Crusoé et Narcisse.

    Mais qu'est-ce qui cause une si terrible préoccupation de moi-même ? N'est-ce pas justement l'enfermement, les murs m'abritant des autres ?

    L'année dernière, j'ai voulu inscrire sur l'une de mes peintures : "La solitude mène à l'amour de soi". C'est véritablement ce que je pense. Du moins, dans le cas de ma propre expérience. Est-ce mon manque de sociabilité qui me ramène à "moi", ou est-ce l'observation de moi qui m'empêche d'aller vers les autres ? Je crois qu'il s'agit de la première option.

    Bien sûr, ce n'est pas tout…

    Cette passion pour "moi" est sans doute liée à ma propre histoire. Je suis le petit dernier de ma famille, le seul garçon (entouré donc de filles).

    Un garçon certainement cajolé. Et puis, j'ai dessiné, j'ai écrit. J'ai montré que j'avais des passions, des centres d'intérêt, que j'étais créatif.

    Je me suis rendu intéressant, si l'on peut dire. Bien sûr, le travail n'est pas soi, mais il est tout de même trace de soi… Et j'aime laisser des traces. Personnaliser ce qui m'appartient (en l'abîmant, en y dessinant…), dessiner sur les murs… laisser des traces de ma personne. 

    Ma part créative est là, toujours, pour laisser des traces, de moi… Même lorsque je ne me dessine pas moi, lorsque je n'écris pas sur moi.

    Ma créativité est donc elle-même une part de mon narcissisme…

    Si je n'ai pas de copine, c'est peut-être bien parce qu'on ne peut pas aimer quelqu'un qui s'aime déjà tant lui-même.

    Bref. Ma famille a donc toujours été fière de moi. J'ai écrit un roman, tout ça… J'ai reçu des fleurs. Cela ne me fait pas du bien.

    Je n'ai même pas besoin d'apprendre la modestie, je dois juste apprendre à me détacher de "moi".

    J'ai lu un roman de Kundera, cet été, qui s'appelle "La vie est ailleurs". Le personnage principal a une part assez abominable, mais je crois que je lui ressemble par certains aspects. Cet type est fils unique, et sa mère s'est occupé de lui depuis toujours et pour toujours comme d'un Dieu sur Terre, comme s'il était Jésus-Christ, mais, surtout, comme s'il lui appartenait, comme s'il était dans sa propre chair…

    Je ne pense pas que ma mère ait été aussi "dévoratrice" de moi. Mais toujours est-il que ce personnage (Jaromil) en devient lui-même totalement centré sur lui-même, il ne pense qu'à lui-même, il admire son image, et écrit, il fait de la poésie où il parle de ce qu'il y a à l'intérieur de lui, sur un mode surréaliste; puis avec l'arrivée du communisme il fait de la poésie patriote, parlant de l'ouvrier, du paysan, des ciels bleus et des champs de blés. Sa poésie, dans un premier temps appréciée des intellectuels admirateurs des surréalistes et du modernisme, est ensuite, lorsqu'il écrit en faveur de la patrie, aimée du peuple.

    Bref, il est aimé. Sa poésie est aimée : on admire son talent. Jaromil est admiré. Il reçoit des fleurs. Il aime ça. Il ressent son importance. Son "moi" est sa couronne.

    Jaromil est Narcisse.

    Et je me demande si une part de Jaromil n'est pas en moi.

    Bien sûr, je ne suis pas seulement Narcisse. Ce n'est qu'une part de ma personnalité. Je peux être un type intéressant et appréciable au-delà de ça. Mais c'est quelque-chose qui fait partie de moi et qui m'enferme vers moi-même.

    Les bouddhistes pensent qu'en réalité, l'ego n'existe pas. Je pense que c'est une bonne chose. Ne pas croire en l'ego est une chose formidable.

    Pour l'instant j'ai du mal à m'y faire. J'ai mon ego et mon ego, nécessairement, veut être particulièrement différent des autres egos, particulièrement unique… Ce n'est pas quelque-chose de positif. C'est même embarrassant. L'ego, c'est ce qui permet la part narcissique de soi d'exister.

    Pour m'expliquer l'illusion de l'ego, ma mère m'a souvent parlé des bols remplis d'eau, qui portent à leur surface le reflet de la Lune. Chacun de ces bols pense être la Lune. Ils portent tous la lune en leur surface. Mais la lune n'est pas eux. Elle n'est qu'un reflet.

    "Moi". Bien sûr, que le moi n'existe pas… Qu'est-ce que c'est, moi ? C'est mon corps ? Ma chair ? Mon cerveau ? Mon visage ?

    Mon visage n'est-il qu'une illusion de moi ?

    C'est ce qu'il me semble quand je proclame que "ce n'est que chair". Comme puis-je n'être que de la viande ?

    Pourtant, ce moi est là. Il est là et tient trop d'importance en moi.

    Ce qui est drôle, c'est que ce n'est pas le sujet que je voulais aborder lorsque je me suis "attablé" pour écrire.

    En relisant ce matin mon journal intime, j'ai relu des pages et des pages où je ne cessais de penser à une certaine personne, qui m'obsédait en septembre, en Octobre… voire plus tard. Du coup j'ai repensé à elle toute la journée, et j'ai voulu écrire à propos d'elle, mais bien sûr cela ne m'était pas possible car je ne peux pas parler d'elle sans étaler ma vie privée (et la sienne).

    C'est tout de même drôle. Drôle qu'une relation pareille ait pu se tisser. J'étais certainement tombé amoureux. Sinon, je me serai détaché plus facilement.

    Ce qui est drôle, c'est qu'après que les choses se soit mises au clair entre nous, j'ai rencontré deux autres personnes de la même manière :grâce à mes traces. Celles que j'ai laissées sur internet.

    Le fait est que A. s'est accroché à mes traces (et moi aux siennes…).

    J'aime les traces des gens. 

    Je me suis mis à penser à des gens donc je ne connais presque que les traces. Qui incarnent une certaine forme de mystère, puisque je ne suis pas dans leur entourage, que je ne figure pas dans leur quotidien, et inversement. Mais, tout en ne faisant pas partie de nos quotidiens respectifs, on s'adresse l'un à l'autre comme si c'était le cas. S'adresser à une personne dont on suit les traces sans réellement l'approcher, c'est quelque-chose d'assez spécial. N'ayant que les traces de la personne, nous ne sommes en possession que de son mystère. On pense à elle et donc on se l'approprie. Elles finissent par appartenir à mon esprit, comme si elles faisaient partie de moi…

    Non, là je pars en couilles.

    Tchuss.


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  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Septembre 2009 à 14:55
    °Jaromil°
    ° Tiens, j'avais oublié ce livre, La Vie est ailleurs ! Je l'ai lu il y a environ un an. Et je dois avouer que je n'ai pas compris grand chose, même si j'étais fascinée par l'écrire de Kundera, comme à chaque fois. Voilà un exemple d'homme qui ne laisse pas de trace dans ses romans, même si on a envie de se persuader qu'on en trouve, que tel ou tel détail est forcément du vécu. On ne sait rien de précis, alors on l'imagine, on se l'approprie. Quant à ce que tu dis sur la solitude, c'est très intéressant, sur cet amour de soi-même que ça finit par créer. Je n'y avais jamais pensé.°
    2
    Lundi 28 Septembre 2009 à 23:25
    encore une réponse
    Pour moi, Kundera laisse des traces. Je suis persuadé que ce type a été un homme à femmes. A lire Risibles amours, à lire L'insoutenable légèreté de l'être, et même en voyant certains personnages de La vie est ailleurs, je suis convaincu que Kundera est lui-même un homme qui aime les femmes ; je n'arriverai pas à croire que la figure du célibataire (ou non-célibataire) qui se fait plein de nanas (pour le dire grossièrement), qui semble imprégner largement et de façon importante tous ses livres (du moins ceux que j'ai déjà lus), soit étrangère à sa propre personnalité… Bien sûr, je peux avoir tort, et alors tu as raison : je m'imagine, je m'approprie… Mais, fichtre, je n'arriverai pas à croire qu'il n'est pas lui-même ainsi !… Mais, à propos de Kundera, une de mes colocs a l'insoutenable légèreté de l'être dans sa bibliothèque, j'en ai profité pour relire le premier chapitre, je me suis rendu compte, d'un : qu'il était déjà temps pour moi de le relire ! Et, de deux, qu'il était vraiment mon Kundera préféré, quoique Risibles amours est un recueil de nouvelles vraiment intéressant. Sinon, j'apprécie que tu aies pu me trouver intéressant, et je finirai en te remerciant d'avoir toujours quelque-chose à dire à propos de mes articles : tu laisses souvent des commentaires pertinents et cela me fait vraiment plaisir, moi-même je suis incapable de te rendre la pareille, je lis chacun de tes articles avec attention, je les apprécie, je les aime, mais je n'ai rien de spécial à en dire… (par exemple, ton article sur les inscriptions aux cours de sciences-po m'a fait mourir de rire, même si pour toi ça n'a pas dû être drôle du tout !) Tu as toujours du talent pour raconter des anecdotes avec malice et humour, mais je ne vais pas pas te le répéter en permanence…
    3
    Dimanche 4 Octobre 2009 à 22:31
    °Commentaire de commentaire°
    ° Pour les traces de Kundera, je ne sais pas. Parce que je sais peu de choses sur lui, et il a toujours cherché à en dire peu, mais je crois qu'il est marié et depuis longtemps. Ce qui n'empêche pas l'infidélité dont il parle dans ses livres (dans L'insoutenable légèreté, ceux qui séduisent plein de femmes sont mariés et pas célibataires), certes, mais ça me semble plus délicat d'être tel séducteur, d'être marié, et de l'écrire tout de même dans ses livres. Mais c'est vrai que c'est un thème récurrent et je me suis souvent demandé si c'était autobiographique ou bien s'il s'interroge sur le concept de "collectionner les femmes" au point d'en écrire plusieurs variations, sans pour autant "pratiquer". Mais il est certain qu'il aime les femmes et sur ce point, oui, j'avais tort de dire qu'il ne laisse aucune trace. De même qu'il est clair qu'il écrit contre le régime communiste. Mais ça reste évanescent, de mon point de vue. Et tout en nuances, ce qui fait la richesse de son écriture (par exemple dans L'écriture ou la vie, quand il parle du communisme qui serait comme une danse dans laquelle on entre et qui s'éloigne des idéaux du départ sans qu'on s'en rende compte. Quoi que c'est peut-être plutôt dans Le livre du rire et de l'oubli. J'ai un doute). Ah moi aussi, mon préféré c'est L'insoutenable légèreté. De loin. Mais j'aimerais bien lire ses romans + récents, parce que j'ai remarqué que + un de ses livres est ancien, moins je suis séduite. Et il faut aussi que je relise L'insoutenable légèreté, j'espère que je trouverai le temps. Pour finir, à propos de tes articles que je commente et des miens que tu commentes moins, je pense que ça vient du contenu de nos articles. Les tiens sont personnels et introspectifs, donc ils appellent tes lecteurs à s'interroger en retour sur leur rapport au narcissisme, à la mort, aux personnes âgées (pour reprendre quelques uns de tes "grands thèmes"). Les miens sont purement descriptifs, bien sûr j'y ajoute ma vision, mais ils tiennent surtout, tu le dis toi-même, de l'anecdote. Une fois racontés, ils n'ont pas de suite, pas d'évolution. Je regrette parfois, surtout en te lisant, de ne pas oser me laisser aller de la même façon, écrire ce que je pense, ce qui m'inquiète, ce qui me dérange, ce qui me fascine. C'est difficile de ne pas tenir compte de ce que les lecteurs vont penser de nos propres idées, et ton talent, que j'admire beaucoup, est précisément d'y parvenir entièrement, sans laisser de place à la retenue.
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    4
    Solveig
    Mercredi 21 Octobre 2009 à 14:04
    On en est tous là !
    Quoiqu'on face on regarde le monde à travers nos yeux, avec notre vécu et tout ce que nous sommes... Ou même tout ce que nous aimerions être. À partir du moment où c'est "moi" qui définis tout le reste, comment pourrait-on s'en dégager ? Le narcissisme dont tu parles et qui semble te préoccuper, nous nageons tous dedans, nous ne pouvons pas nous en extraire et je dirais que c'est tant mieux. Finalement, celui qui s'intéresse à lui-même et sait qu'il ne songe qu'à travers sa propre expérience a gagné le jeu, car quelque part il cherche la raison de son amour propre, si je puis dire. Je pense que tu sais très bien ce qui te rend aussi bien intéressant que détestable, pour toi comme pour d'autres. C'est une forme de lucidité qui se développe. De la même manière que pour lire un document il faut connaitre le contexte et l'auteur (propagande ? satyre ? etc), il vaut mieux se connaitre soi même pour interpréter le monde sans s'aveugler. Même si on pense ou dit une connerie, par exemple, on sait au moins sur quelle base. De notre observation, on se définit, on devient une personne, une grande personne même, on sait à quoi s'en tenir ; ça peut encourager des préjugés stupides mais également permettre de faire des choix, c'est à double tranchant. Ou d'être indécis, mais sans cesser de se mettre en accord avec ce qu'on est, ce qu'on veut être. Ce que nous avons appelé ego de manière un peu péjorative, finalement, c'est quelque chose de très judéo-chrétien, c'est sans doute pourquoi les bouddhistes ne connaissent pas ; il y a peut-être même les langues dans lesquelles ça n'exprime pas du tout la même chose, car pour m'être intéressée un peu à cette religion (quand j'avais dix ans, cependant ;)...) je sais qu'elle est très loin d'exclure l'amour propre et l'individu. Ensuite, quand on parle de narcissisme, il y a autre chose que "l'ego" qui entre en jeu. Si Narcisse se noie dans sa propre image, c'est à mon avis précisément parce qu'il n'est pas lucide. Un peu comme un parent qui aime tant son petit choupinet (tiens, le correcteur d'orthographe ne connaissait pas ce mot) qu'il refuse d'admettre que c'est une terreur qui martyrise ses camarades. Narcisse se noie dans son reflet parce qu'il s'aime non pas comme on s'aime soi mais comme on aime un autre. Ce n'est pas le même amour. Quand on aime quelqu'un, qu'on le sache ou non, il y a tout un processus hormonal qui entre en jeu (l'amour platonique est une connerie, d'ailleurs tout ce qu'a dit Platon est une connerie), chose qui évidemment ne marche pas dans le cas de l'amour propre, qui répond uniquement à un besoin de survie et pas de reproduction/protection. Narcisse s'aime comme s'il était tout seul parce qu'il ne regarde même pas les autres (peur d'être déçu ?), alors que normalement l'amour propre est aussi une aide pour appréhender autrui (paradoxalement). Après, bien sûr, on peut s'enfermer par ego, se replier, être farouche, sauvage, distant, je vois très bien à quoi ça mène, mais pour autant on peut tout à fait reconnaitre à autrui la même complexité qu'à soi même et donc le même intérêt, c'est le mystère dont tu parlais plus tôt ; la question de l'amour marche aussi là dessus, qui s'accompagne d'une part de jalousie ou de peur, parfois. ... Bon, j'écris trop. Bon courage, cependant je constate que les commentaires ici sont rarement courts, alors ce n'est pas grave. Aïaïaïe.
    5
    Sissy
    Vendredi 6 Août 2010 à 00:58
    contacte moi...
    Je faisais des recherches sur le narcissisme. Je suis clairement narcissique et c´est une réelle souffrance. Tout d´abord parce que je voudrais que tout le monde me voit telle que je me vois, mais aussi parce que je blesse les gens et ménferme. J´ai une particularité cérébrale biologique qui couplée à ce que décrit Kundera dans "la vie est ailleurs" me conduit indéniablement a la solutide. Pourtant, tout comme toi je sais etre agreable, sais user de ma culture et me montrer tout a fait interessante... Pourrais tu me contacter s´il te plait? J´aimerai échanger avec toi, je me reconnais dans beaucoup de tes écrits et meme si je ne crois pas sincerement que nous nous ressemblons vraiment car finis toujours pas etre decue, je veux essayer.
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