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mourir tout le temps jusqu'à la dernière mort
Si je meurs à 80 ans ou plus, il me semble que ce sera avant tout la mort d'un pépé.
Ce type, ce vieillard de 80 ans, condamné à mourir, ce n'est pas tout à fait moi. Enfin, si, c'est moi… Mais pas exactement.
Quand un individu meurt, on annonce la nouvelle accompagnée d'une photo récente… Ça ne viendrait à l'idée de personne de présenter la photographie d'un homme à l'âge de la trentaine, lorsqu'il vient de mourir à 80 ans.
Ce qui m'intéresse avec cette idée, c'est l'idée de dernière mort.
J'aime bien tenir des journaux intimes. Et, ce soir, je me suis retrouvé dans la situation de relire le journal intime que j'ai tenu alors que je faisais mes révisions pour le bac en Juin 2008. Eh bien, il s'en est passé des choses, dans ma vie, en Juin 2008. Et des pensées qui m'ont traversées le crâne, il y en a eu aussi.
Ces pensées, ce ne sont plus vraiment les miennes. Il y a des réflexions écrites dont je vais être embarrassé, car j'ai changé. D'autres dont je serai encore fier.
Il y a des événements que j'ai immortalisé dans ce cahier : mais, avant de m'y replonger, ces événements étaient morts. Ils n'étaient plus que de vagues souvenirs sans importance, peu présents en moi, et qui resurgissent là en plein figure avec beaucoup de puissance.
Ce que je veux dire, c'est que le Florian Duchesne de Juin 2008, d'une certaine façon, il est mort. Ses pensées ne sont plus exactement les miennes, son vécu est déjà pour moi un lointain souvenir… Bizarrement, il s'agit déjà d'une autre vie. Or, lorsque je relis ce journal intime, ce Florian Duchesne de Juin 2008 ressuscite. Il revient à moi, fait acte de présence, de par la mémoire, le souvenir.
Tant que ces journaux intimes existeront, tous ces Florian Duchesne ne seront pas vraiment morts : ils ressusciteront ponctuellement, tandis que je réactiverai leurs mémoires en m'y replongeant avec intérêt.
Je redécouvre ce que j'ai été, il n'y a pas forcément si longtemps que ça.
De la même manière, ma vraie mort (un jour) sera elle-même à nuancer à partir du moment où il restera des traces de moi, des enregistrements de moi, qui, d'une certaine façon, me "ressusciteront".
C'est pour ça qu'il paraît facile de dire qu'un Serge Gainsbourg, par exemple, est immortel : il est dans notre souvenir à tous, de manière très précise, puisque sa mémoire se retrouve réactivée par ses chansons, ses photographies, les captations filmées de sa personne…
Ce que je veux dire, c'est que le vieux pépé de 80 ans qui va mourir, ce ne sera plus l'homme mûr de cinquante ou soixante ans, et ce ne sera plus le quadra, et ce ne sera plus le trentenaire à la fleur de l'âge, etc.
Le Florian Duchesne bébé, il n'est plus là qu'à travers la mémoire qu'on lui porte. Mais moi, je ne suis plus ce bébé. Ce bébé, il est mort, d'une certaine manière.
On meurt progressivement avec le temps qui passe, mais comme on existe toujours, on ne s'en rend pas compte.
Mais quand on se replonge dans son passé et qu'on se rend compte à quel point c'est dépassé voire oublié, et dans tout les cas, transformé, on réalise à quel point cet individu-là, cet individu-là précisément, n'appartient plus tout à fait au monde.
Evidemment, j'ai tort, car une personne ne se définit pas seulement par sa mémoire ou ses pensées, mais aussi par sa nature, sa personnalité… Puisque je partage des traits communs avec les Florian Duchesne passés, alors ils ne sont pas tout à fait morts puisque ces traits sont encore tout à fait en moi.
(par exemple, en relisant ces notes de révisions du bac, j'y ai écrit des notes où je panique sur mon incapacité à me mettre au travail malgré que l'examen se rapproche, que j'aurais pu tout aussi bien écrire aujourd'hui en Janvier 2011… malheureusement je n'ai pas changé. Il y a aussi des passages sur la peur de ne pas être à la hauteur et sur le fardeau d'avoir une "vocation", qui sont plus ou moins toujours les mêmes.)
Tout cela est donc largement à nuancer.
Pourtant, il me semble qu'il y a du vrai : si je meurs à 80 ans, le jeune homme de vingt ans qui est en train, en ce moment-même, de taper sur son ordinateur, d'une certaine manière, ce garçon-là sera "mort" depuis longtemps.
Jusqu'à réactivation de sa mémoire.
Mais, on est bien d'accord : la mort du vieux pépé, c'est la dernière des morts. Celle qui signe l'arrêt définitif de tous les Florian Duchesne à la fois, excepté à travers la mémoire qu'on gardera de lui éventuellement.
(on pourra sans doute formuler, après tout ça, que le seul Florian Duchesne véritablement en vie est celui de l'instant présent… tous les autres sont plus ou moins morts. C'est sans doute commun à dire, mais n'empêche que c'est vrai)
Tags : mort, vie, bazar, mémoire
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Commentaires
2gwenDimanche 30 Janvier 2011 à 13:05tommorrow is another day!
Moi, j'adore m'enterrer! C'est pour ça aussi que je veux supprimé mon compte facebook, pour symboliser ma mort et ma renaissance. Cette mort est un choix assumé, mais c'est aussi une consequence direct de la fin du monde qui a eu lieu cet été... Je ne me souviens que de peu de choses et je sais que moi d'il y a 5 min est déjà un mythe, qu'est ce que je voulais dire quand j'ai commencé à rédiger ce commentaire? à quoi je pensais? TOus ça est partie définitivement, et pourtant c'est juste 5min. Le deuil de soi est un des plus difficile bien que ce soit le plus naturel. Si tu regarde "dead like me" tu verras, ça en parle un peu... donc adieu Flo d'aujourd'hui et à bientôt Flo de demain, tu verras Gwen du futur est géniale!!!
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Disons qu'au fur et à mesure de son évolution, il y a des traits de caractères, des goûts et même des souvenirs qu'on abandonne au profit de nouveaux. En ce sens, c'est vrai, ces différentes strates de notre évolution peuvent être perçu comme autant de petites morts. C'est quelque chose qu'on craint, en un sens, d'où le désir et l'intérêt de tenir un journal, un blog ou quoique ce soit d'autre, mais c'est aussi un espoir. Une mort non définitive, un renouveau, ça a quelque chose de terriblement agréable, comme conception, quand on a envie de faire une croix sur certains évènements de son passé... D'ailleurs, c'est en accord avec ce principe qu'il y a prescription au bout de tel ou tel nombre d'années selon les délits : à partir de tel ou tel nombre d'années sans t'avoir jugé, on considère que tu as eu le temps d'évoluer suffisamment pour ne plus pouvoir être puni... Car le criminel est mort, en un sens. Pour que ça ait une application pénale, il faut que ce ressenti soit sacrément partagé ! Quoiqu'il en soit, tu en parles très bien.