Ma soeur et son copain qui hésitent à aller à une soirée. Ma mère au téléphone, à propos de boulot. Et moi. Et moi qui ai encore envie d'écrire, d'écrire de la merde, d'écrire peut-être vraiment de la merde, en attendant que monsieur courage vienne casser la gueule de monsieur procrastination. Oui, parce que dissert'. J'aurai du la rendre ce matin, mais j'ai pas réussi à finir ma dissert' hier soir. Je crois que ma note va être courte. Pas ma note de dissert', ma note de blog. Qu'elle sera courte ou qu'elle n'aura pas lieu : j'avais oublié qu'il restait une tarte à manger.
Une myrtille. Je veux parler d'une myrtille qui s'appelle Blueberry. Une myrtille violette qui serait acide si on la mangeait. On me propose de goûter la tarte. Le temps presse. Une myrtille qui s'appelle Blueberry et, la peau une fois écorchée, sa chair ressemblerait à celle du raisin. Du raisin. Blueberry, sa peau qui n'a jamais été déchirée. Elle rencontre une graine de raisin. Une graine de raisin qui s'appelle Raison. Raison est une graine de raisin vert mais appartient à une grappe rouge.
Un chat. Et la tarte? Et ma dissert'? Et bien, ma note. Eh bien un chat. Ses yeux qui se ferment, qui se ferment en deux traits bridés. Deux traits bridés, croûtes d'yeux au bouts. Le corps prostré, on dirait un poulet rôti, mais avec des poils, avec une tête de chat, avec une chaleur et des ronronnements.
Raison. Raison le marginal. Raison le vert parmi les rouges. Raison le vert quand personne n'est vert. Raison qui fait tout différemment des autres. Qui les trouvent tous pareils. Les rouges qui l'évitent. Qui se disent que ce raisin vert n'est pas rouge. Mais Raison le vert n'a pas envie de se mêler à eux. Blueberry. Blueberry la myrtille. Parmi les autres myrtilles. Qu'est-ce qui l'a cogné ? Je ne sais pas, mais Blueberry est tombée. Par terre. La chair et la terre poussièreuse séparées par la pellicule violette, si facilement déchirable.
Est-ce qu'un chat aime les myrtilles ?
Le chat qui miaule. Le chat qui fait ce qu'il veut. Le chat qui monte sur la table. Le chat sur tes cuisses, ronronnant. Le chat qui joue.
La myrtille ramassée. La myrtille mangée? Quelqu'un de bizarre, qui a mangé la mangé par terre, au lieu des myrtilles du buisson ? La myrtille Blueberry, qui était déconnectée. Déconnectée du buisson. Des branches et des branchettes. La petite branchette qui a fait "tic" lorsque le cordon ombilical de Blueberry a rompu au passage de l'ovni. Blueberry mangée ? Blueberry, la peau pelliculaire violette déchirée, la chair exposée, l'acidité repérée par les papilles? L'homme qui l'a mangé. Aime les myrtilles. Petit plaisir de la vie. Manger des myrtilles. Ce qui est précieux. Ces petites choses de rien du tout qui font tout. Une graine de raisin vert dans une grappe rouge. C'est singulier, mais ça ne va pas changer le monde. Mais l'homme va manger le monde. Il va arracher la graine Raison, déchirer sa chair en deux entre ses deux rangées de dents. Ma dissert' à faire. Ma mère qui range la table. Ma soeur et son copain dans la chambre. La tarte rangée? C'est pas grave. Le Raison et Blueberry. La myrtille et le raisin vert, réunis, dans l'estomac. Les réactions chimiques qui transforment leur cadavres en nutrition. Les voilà mélangées.
Raison aurait pu être une touche de raisin vert dans un jus de raisin rouge. Ce n'aura pas été le cas. Blueberry aurait pu mourir flétrie par le Soleil, aurait pu tomber plus tard du buisson, le cordon aurait pu se maintenir. Mais voilà Blueberry et Raison réunis dans la mort. La mort d'un petit instant de bonheur, d'un petit instant de rien du tout de ce qui est précieux : manger une graine de raisin vert dans une grappe rouge, manger une myrtille.
L'homme aux deux morts qui rentre chez lui paisiblement. Que fait-il? Peut-être qu'il commence à lire un livre. Son chat s'assied sur ses cuisses et ronronne.