• Philippon

    Je ne sais pas comment attaquer…

    Mon chien est mort.

    Je me suis toujours dit qu'il faudrait que je parle de lui un de ces jours. Je me suis toujours dit : "il faudrait que je le dessine d'après nature, un de ces jours". J'aurais bien aimé dessiner Philippon.

    Mais Philippon est mort.

    Il me semble que sa vie aura été assez pathétique et tragique. Et très triste.

    Vraiment triste.

    Je vais essayer de lui rendre hommage par une note, j'espère que je ne vais pas trop faire de la merde.

    En fait, je ne sais vraiment pas comment m'y prendre pour en parler. Je n'arrive pas à écrire. Alors que j'en ai envie : envie de parler de mon chien.

    Ce qu'il y a, c'est qu'il aura eu une vie nulle, avec une fin pitoyable et tragique.

    Comment tout a-t-il commencé ? Par ma grand-mère. Ma grand-mère l'a donné à ma mère qui n'a pas su refuser.

    Je me rappellerais toujours de la première fois que je l'ai découvert. C'était en 1999. Ma mère est rentrée à la maison, en tenant Philippon par une laisse. L'arrivée de Philippon était une surprise totale. Il gigotait partout, reniflait partout, il était tout jeune et il avait l'air content. Mon père était présent, ainsi que mes soeurs. Peu de temps avant on avait découvert des boîtes de nourriture pour chien dans les placards qui nous avaient vivement intrigués… J'étais moi-même archi-content. Mes soeurs auraient préféré un chat, mais moi, à l'époque, j'avais l'envie secrète et inavouée d'avoir un chien : j'étais vraiment ravi de découvrir Philippon. Pourquoi Philippon ? Je crois que c'est ma mère qui avait pensé à ce prénom. C'était l'année des P. Mon meilleur ami s'appelait Philippe alors c'était un peu bizarre d'avoir appelé ce chien Philippon, mais ça n'avait pas été mon idée. Mon grand-père paternel, du temps où il était en vie, confondait toujours et l'appelait "patapon", ce qui aurait été un nom vraiment charmant.

    Au début, on était tous assez content d'avoir un chien. La vétérinaire, cependant, nous a très vite effrayés : lorsque ce chien nous avait été donné, il avait été gratuit, ce qui était étrange pour un Cavalier King Charles, race de chien qui coûte habituellement très cher. On ne nous avait pas transmis son carnet de santé, et on avait juste dit à ma mère et ma grand-mère qu'il avait une malformation bénigne, qui empêchait ses propriétaires de le vendre mais qui n'était pas très grave. En réalité, quand on est allés voir le vétérinaire, cette dernière nous a appris que Philippon était cardiaque. C'était un problème énorme : il risquait de mourir très vite, il ne fallait surtout pas qu'il fasse de dépenses physiques, etc.

    En fait, elle a eu tort. Il a vécu au moins dix ans et, au début de sa vie, il se dépensait tout à fait physiquement sans qu'il n'ait de soucis.

    Ça ne l'aura tout de même pas empêché d'avoir une vie de merde.

    Je me souviens du jour où on l'avait perdu : il était sorti de la maison, on ne l'a pas surveillé, il est parti un peu loin et il a dû se perdre : on ne la pas retrouvé. Cette nuit-là, j'étais encore à l'école primaire, j'ai prié Dieu pour qu'il fasse que je retrouve mon chien, que j'aimais très fort.

    On a retrouvé mon chien, qu'un camarade de l'école avait retrouvé et hébergé quelques jours.

    Ensuite, il a continué de vivre : il "logeait" dans la cuisine, parce que s'il avait eu accès à toute la maison il aurait foutu des poils partout. La cuisine, donc, c'était sa maison dans la maison. Il allait beaucoup dans le jardin, mais par contre, on le promenait assez peu. Personnellement, je rechignais à le promener parce que je n'avais pas le courage de tout le temps ramasser ses crottes, mais je n'allais tout de même pas le laisser chier partout (et je n'arrivais pas à le faire faire caca dans le caniveau). Je l'ai très peu promené moi-même. Ma mère l'a un peu promené, mais pas énormément.

    On l'emmenait en forêt quand on y allait. J'imagine qu'il a dû passer de bons moments, en forêt.

    Je me rappelle d'un jour, (là encore, je devais être en primaire) où je me suis allongé sur le sol de la cuisine. J'avais l'espoir que Philippon vienne s'asseoir sur moi. Il l'a fait et j'étais très content. J'aimais beaucoup jouer avec lui à l'époque.

    Ce chien, en quelque sorte, vendait son corps : il était prédisposé aux caresses. Lorsqu'il rencontrait des gens, ou qu'on se rapprochait de lui, se mettre sur le dos était un réflexe : il recueillait les câlins sans chichis.

     Un chien de compagnie, c'est fait pour tenir compagnie. Je ne suis pas resté très longtemps le compagnon de Philippon. Ni même ma mère, ni même mes soeurs. Il restait dans la cuisine ou dehors : nous n'étions pas si souvent dans l'un ou l'autre. Parfois, de temps en temps, je réalisais l'importance que ça devait avoir pour Philippon d'être auprès de nous (lorsque, justement, il en avait l'occasion et en semblait très satisfait). Or, nous n'avons pas été tellement auprès de Philippon.

    A de très rares exception, sa vie aura été ennuyeuse. Sa journée type, c'était : rester dans sa niche, dormir, aller dans le jardin, manger… et aboyer au moindre bruit environnant.

    Rester dans sa niche : je crois que, sa niche, c'était son repère, son étoile du Nord. Tant qu'il était dans sa niche, ça allait. Si on faisait le ménage et qu'on relevait sa niche, s'il était dehors et qu'on tardait à lui ouvrir la porte de la cuisine, ça n'allait pas. Mais, s'il était sur sa niche, ça allait, l'équilibre du monde était sauf : sur sa niche, il avait à peine l'air de s'ennuyer. 

    En effet, il s'y sentait à sa place.

    C'est important, d'avoir sa place. Et Philippon avait la sienne. La cuisine était sa maison, sa niche était sa chambre.

    Philippon a eu, au-delà de ses problèmes cardiaques, de nombreux problèmes de santé.

    Un jour, ma soeur a fêté son anniversaire en invitant beaucoup de gens à la maison. Ma mère et moi sommes sortis à l'extérieur durant l'événement. Je ne sais plus si j'étais à la fin du collège ou au début du lycée. Il y avait énormément de gens qui étaient venus, et Gwenaëlle ne pouvait pas surveiller tout le monde à la fois. Quand nous sommes rentrés, Philippon n'était pas bien du tout : il chancelait complètement, tenant vraiment à peine en équilibre. Il s'est couché brutalement, en tombant pratiquement. Des invités avaient dû lui donner soit de la drogue soit de l'alcool dans sa gamelle. J'aimerai presque que ces gens-là meurent tellement des gens qui font ça ne méritent pas spécialement de vivre. Le problème si on tuait tous les cons c'est qu'on deviendrait soit même une part de la lie humaine, pire qu'Hitler ou Staline. Et puis un con, qu'est-ce que c'est ? C'est très relatif tout ça. On est tous le con de quelqu'un d'autre. N'empêche, quelqu'un qui s'amuse à donner de la drogue ou de l'alcool à un chien n'a pas gagné le mérite d'exister. Mon chien a failli mourir mais il a survécu.

    Je crois que c'est à peu près à partir de là qu'il a senti mauvais, et qu'il s'est mis à manger bizarrement : pour manger, il levait la gueule vers le haut et faisait beaucoup de bruit, c'était assez spécial. Il ne pouvait plus manger normalement. Et, pour l'odeur, nous avions beau le laver, il mettait très peu de temps à sentir à nouveau mauvais. Nous ne le lavions pas très souvent, mais ce n'est pas pour ça qu'il sentait si mauvais. Son odeur imprégnait toute la cuisine. Lorsqu'on s'était absenté de la maison et qu'on revenait, on s'exclamait : "ça pue !…" Puis, on s'habituait à nouveau à l'odeur.

    Ma mère lui coupait occasionnellement les ongles des pattes, mais souvent il se débattait et ce n'était pas facile. Une fois, alors que ses ongles poussaient, ma mère n'a pas eu le courage de les lui couper assez vite. C'était il y a quelques années : ses ongles lui rentraient pratiquement dans les pattes, cela devait le faire souffrir et il se mordillait la patte pour faire quelque-chose. Il en est venu à s'auto-mutiler : on l'a découvert dans la cuisine, la patte complètement sanglante, on aurait dit qu'elle était passée sous un rouleau compresseur. Le sang était partout dans la cuisine. On a dû appeler un vétérinaire pour qu'il vienne sur place.

    Les relations entre ma mère et sa propre mère n'ont jamais été faciles. Or, si ma mère a eu un chien, c'est à cause de ma grand-mère. Ça a été son cadeau. Ma grand-mère avait commencé, dans la toute jeunesse du chien, à l'élever de manière à ce qu'il fasse caca toujours au même endroit, et ma mère n'en n'a pas spécialement pris compte : dans le jardin de la maison, il faisait un peu où il voulait. Ma grand-mère désaprouvait. Au bout d'un moment, quand on lui parlait de Philippon ou qu'on voulait lui demander de le garder, elle disait : "il faut le piquer, ce chien !" "il n'y a qu'à le piquer, ce chien !" Ma mère n'a jamais voulu le piquer.

    Philippon s'est remis de sa patte auto-mutilée : elle a guéri.

    Il avait aussi des problèmes aux yeux. Il n'avait pas suffisamment d'humidité au niveau des yeux. La véto nous avait donné un produit dont il fallait lui verser des gouttes dans les yeux tous les jours. On l'a fait. Un certain temps. C'était encore quelque-chose de difficile : il avait tendance à se débattre, à résister. On s'est lassés un peu, bien qu'on continuait de le faire de temps en temps. Sauf que nous n'avons pas été sérieux. On l'a fait de moins en moins souvent et Philippon a finir par perdre l'usage de son oeil : le vétérinaire a cousu sa paupière, son globe encore en-dessous mais complètement invalide. 

    Par ailleurs, il s'est mis à baver plus que de raison. Il bavait vraiment beaucoup. Parfois il se secouait et ça éjectait de la bave autour. Des fois quand je rentrais à la maison et que j'enlevais mes chaussures il essayait de poser sa gueule sur mes cuisses, ce qui laissait de la bave.

     

    Bref : il était devenu borgne, puant, bavait, mangeait bizarrement.

    Ces derniers temps, on a appris qu'il avait une hernie, et puis il devenait incontinent. En effet, ces derniers mois, il lui arrivait souvent de faire caca et pipi sur le sol de la cuisine.

    Je portais un regard complexe sur mon chien : le voir me faisait culpabiliser. Je me sentais coupable de sa condition. Il était dégoûtant et je considérais que c'était partiellement de ma faute. Je pensais à sa vie qui devait être ennuyeuse et vide et je me sentais fautif. Il faisait pitié. Il n'était pas toujours facile à vivre, aboyant parfois vraiment beaucoup. A certains moments, j'avais l'impression de le détester, sans doute parce que ce que je voyais en lui me poussait plutôt à me détester moi-même et que ça ne me plaisait pas. Parfois, je ressentais une sorte d'amour pour lui, je me sentais coupable, je ne le traitais pas bien, mais parfois je m'efforçais de ne pas le traiter pour autant avec indifférence et dégoût : parfois, je le considérais, je lui parlais, je lui tenais compagnie, je le caressais (et après, je me lavais les mains…). Parfois, donc, je crois que j'avais de la compassion.

    Ma mère a entendu parler, il y a plusieurs mois, d'une association pour cavalier kings charles, qui s'occupait de transmettre des chiens king charles pas très bien traités à des adoptants chaleureux. Elle a alors envisagé de donner Philippon mais avait du mal à sauter le pas.

    Il y a peu de temps, ma mère a décroché un nouveau boulot qui l'empêchait de rester à villeneuve-le-roi la plupart du temps : elle ne pouvait plus garder le chien. Elle a donc décidé de le laisser à cette association qui a trouvé une adoptante retraitée. Une femme qui a déjà une chienne king charles qui a fait des concours de beauté pour chiens. Elle voulait faire castrer Philippon pour être certaine qu'il ne fasse pas de petits à sa femelle.

    Lorsqu'elle l'a confié au vétérinaire pour acoomplir plusieurs formalités, il lui a trouvé tout un tas de maladies dont certaines assez graves. Il accumulait visiblement les maux, et le vétérinaire l'a, en gros, diagnostiqué comme étant condamné. Deux ou trois jours après, sans que ma mère n'en soit informée (sans même qu'elle ait eu accès aux informations transmises par le vétérinaire), mon chien a été euthanasié. Des gens qu'il ne connaissait pas lui ont fait une piqûre, puis il est mort.

    Si ma mère avait su, elle aurait gardé le chien, bien qu'il lui restait sans doute peu de temps à vivre. Une amie qui aime beaucoup les animaux, Nouara, et que je remercie beaucoup, aurait été prête à l'aider.

    Non seulement je ne verrais plus jamais mon chien, mais en plus, il n'est même plus de ce monde.

    Je ne souhaite à personne d'avoir une vie telle que la sienne. Si ce n'est peut-être à ceux qui lui ont fait prendre de la drogue ou boire de l'alcool.

    A quoi bon vivre si c'est pour vivre comme ça ? Si l'on excepte les sorties en forêts, je pense que sa vie a eu un intérêt particulièrement limité.

    Je me sens triste à l'idée que certaines personnes ou certains animaux puissent avoir des vies aussi peu intéressantes.

    La vie est un miracle. L'existence de l'univers semble être un miracle. L'apparition de la vie sur Terre est un miracle extraordinaire. L'émergence de l'homme me semble aussi pouvoir être qualifiée comme étant un miracle. 

    Mais le fait que ce soit un miracle extraordinaire n'empêche pas à certains de mener des vies pourries. Ou d'avoir une mort stupide ou terrifiante. On a parlés d'un spéléogue mort noyé, ces derniers temps. Je trouve ça terrifiant. Finir mes jours sur une expérience terrifiante, ça me terrifie.

    L'idée d'une vie de merde alors que la vie est un miracle, ça me terrifie.

     


    Tags Tags :
  • Commentaires

    1
    Lundi 15 Novembre 2010 à 19:40
    Une vie de chien…
    Une âme charitable a délivré Philippon d'une "vie de merde", si j'ai bien compris ! Son heure était venue. Le voilà au paradis des chiens, en compagnie d'Electre que tu n'as pas connu.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :