• De la promiscuité ou de son manque

    J'aime partir d'aliments.

    Alors il y a une banane, un baba-au-rhum, un milk-shake, une tomate farcie, un poulet rôti, un canard laqué, une glace à la fraise, une tablette de chocolat, une tarte au chèvre et aux épinards.

    Si je m'étais arrêté après "une banane", il n'y aurait eu qu'une banane. Mais j'ai continué. Ce qui fait que banane se confond avec les autres. Banane est sur un pied d'égalité avec les autres aliments, et son importance en est sans doute minimisée. Disons que banane se retrouve fondue dans la masse.

    Mais le fait que j'ai continué ma liste ne fait pas que rendre banane plus anonyme. Cela la relie à d'autres.

    Banane peut être seule, elle est cependant en contact avec d'autres. Banane peut entrer en contact avec le baba-au-rhum, avec la tablette de chocolat, avec la tomate farcie, avec le poulet rôti. Elle a la possibilité de le faire.

    Créer des contacts a des incidences. Ces contacts portent leur poids, leur importance. Ils peuvent être plus au moins lourds.

    Il y a les contacts qui se tissent au quotidien. Ils sont légers à porter car se tissent jour après jour. On apprend à connaître l'autre très progressivement, et peut-être même que ce n'est qu'après un certain temps qu'on se sentira à l'aise avec une personne, que l'on se mettra à apprécier particulièrement.

    Il n'y a pas que ces contacts-là. Si la banane est rangée au même endroit que la tomate (pas encore farcie), elle peut par contre être davantage éloignée du baba-au-rhum, du milk-shake, du canard laqué… La rencontre est alors plus fortuite, amenée par la chance, le destin. Elle n'en est que plus précieuse. Si banane n'apprécie pas le canard laqué, alors elle aura peut-être simplement la chance de ne pas le revoir. Peut-être la banane appréciera davantage baba-au-rhum. Et, malgré la distance, peut-être la banane et le baba-au-rhum essaieront-ils de se revoir. S'ils se revoient, c'est alors dans l'appréciation de leurs concordances. Ils sentent qu'ils sont en accord sur certaines choses, qu'ils sont prêts à s'apprécier. Qu'ils veulent se connaître. La différence est immense par rapport à une relation se tissant de façon obligée. Il y a des amitiés qui se créent entre des personnes qui se côtoient jour après jour parce que le hasard les réunit ensemble dans leurs vies. Il y a des amitiés qui se créent entre des personnes qui se côtoient une fois, qui auraient pu ne jamais se revoir de leur vie, mais qui décident de traîner ensemble. Il y a alors une véritable décision. Un vrai effort, à influer sur le cours des événements. C'est quelque-chose qui est absent dans un rapport se tissant au quotidien, où l'on n'a pas le choix, où l'on ne décide pas (de revoir ou non une personne).

    Si la banane a donc véritablement la volonté de tisser une amitié avec le baba-au-rhum, ce n'est pourtant pas pour ça que son amitié avec la tomate (qui doit devenir farcie) en a moins d'importance.

    Car il est assez difficile de créer une relation profonde avec une personne que l'on ne peut côtoyer au quotidien. La tomate partage les joies et les peines de la banane, supporte l'ensemble de ses humeurs. Elle est là quand banane est bizarre, excentrique, lorsqu'elle est triste, lorsqu'elle est heureuse… Ils se connaissent, éventuellement par coeur. 

    Mais la banane ne connaîtra jamais le baba-au-rhum, ou le canard laqué, ou le milk-shake, par coeur. Leur relation pourra rester superficielle, car ne se voyant qu'occasionnellement, ils ne pourront se connaître véritablement l'un l'autre.

    Il existe donc des relations sans rapprochements. 

    Des relations entre individus intéressés pour connaître leurs existences respectives, mais qui ne sauront les partager ensemble. 

    Baba-au-rhum ne connaîtra jamais banane comme tomate la connaît.

     

    {À part ça, je n'ai pas travaillé mon projet pour Saint-Denis ce week-end, et donc demain je vais mourir (mais pas seul)}


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  • Commentaires

    1
    boiseime
    Dimanche 9 Juin 2019 à 20:09

    Il y a quelque-chose qui ne m'avait pas effleuré l'esprit au moment où j'ai écrit ce texte mais auquel je pense très souvent à présent que c'est un cas de figure de plus en plus présent dans ma vie.

    Cette chose à laquelle je pense, auquel je n'avais pas pensé à l'époque, c'est qu'il arrive que la tomate devienne baba-au-rhum.
    On peut côtoyer des gens tous les jours à un moment de sa vie, et un jour, le contexte qui a permis l'épanouissement de leur amitié cesse d'exister. Peuvent-ils perpétuer leur amitié maintenant qu'elle est déracinée ?
    La tomate devient donc baba-au-rhum. L'ami qu'on a connu tous les jours devient celui qu'on s'efforce de contacter ponctuellement pour conserver un lien avec.
    La banane et le baba-au-rhum, que le baba-au-rhum ait toujours été un baba-au-rhum ou qu'il ait d'abord été une tomate, parviennent-il à rester amis ?
    Je ne sais pas.
    Pour ma part, je dois avouer que j'ai de plus en plus de baba-aux-rhums dans ma vie, souvent d'anciennes tomates, je pense à eux souvent mais je ne sais pas continuer à faire vivre notre relation.

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