• Samedi premier Novembre. Je mets ma clé usb dans l'ordinateur. Pour trouver une photo avec laquelle illustrer mon article. J'y arrive pas, je rapproche le bidule vers moi. Mais un câble se détache et l'ordinateur s'éteint subitement. Mon article, que j'appréciais beaucoup, part aux oubliettes, tombe à l'eau. Je ne peux pas le réécrire maintenant. "Maintenant", je dois partir, prendre le train vers Paris. Rentrer chez moi. Vingt minutes plus tard, je suis à l'intérieur du TGV. Je prends du papier, un stylo, et je replonge dans l'eau pour essayer de retrouver le pauvre texte perdu.

    Au début de l'article, je commençais à parler de la mort. Du genre : on fait tous des plans. Des projets. Dans le sens où personne ne compte mourir demain. On vit parce qu'on croit que demain, on vivra encore. Par exemple, moi, je ne crois pas que je vais mourir demain. D'ailleurs, je ne veux pas mourir avant d'avoir atteint les soixante ans. C'est mon seuil minimal. Mais je préfèrerai encore mieux mourir plus tard. Genre, à quatre-vingt ans. À condition d'être encore en bonne santé. Bien entendu, ce que je viens d'écrire là est totalement faux. Si c'est à condition de rester en bonne santé, j'aimerai mieux mourir à cent cinquante ans. Mais, à cent-cinquante ans, on n'est plus en bonne santé depuis longtemps. Alors on meurt, bien avant.

    Aujourd'hui, je ne suis pas vieux. Aujourd'hui je suis jeune. Dans le texte qui a disparu, j'arrêtai bien vite de parler de mort au profit de la vieillesse. Je vais faire pareil. Je suis jeune, et, à condition que je ne meure pas demain, ni après-demain, ni encore un peu plus tard, je mourrai vieux.

    Et je suis jeune. Quand je pense à ma propre vieillesse alors que je me regarde dans la glace, cela me fascine. Réaliser que je suis jeune. J'ai tendance à l'oublier. C'est comme être vivant : on s'habitue très vite, et, très vite aussi, ça n'a plus rien d'exceptionnel. Jeune, c'est ce que je suis. Ça fait partie de moi. Mais quand je me vois dans la glace, et que je me demande à quoi je pourrai bien ressembler une fois que je serai vieux, je le vois bien, que je n'ai pas de rides. Pas la moindre ride. Que mes cheveux sont tous bruns. Que ma barbe ne grisonne pas. Que je n'ai pas d'épaisses valises, sous les yeux. Je ne me vois vraiment pas avec les fameuses valises.

    J'ai envie de faire une image poétique. J'ai envie d'écrire que, les valises qui se constituent sous nos yeux, au fur et à mesure que l'horloge de notre vie tourne, se font et se gonflent à cause de tous nos souvenirs qui s'y entassent, car il faut bien les ranger quelquepart, toutes ces choses qui n'appartiennent plus au présent. Et ma jeunesse. Ce "jeune" que je suis. C'est un souvenir de plus dans la grosse valise que j'aurai sous mon oeil. Ce n'est pas ce que je suis, c'est une étape de la vie destinée à trépasser.

    Mais ce n'est pas un problème pour moi. Être vieux, c'est très connoté. D'une façon négative. Si on dit "vieux", on pense à la mort, aux problèmes de santé, à la sélinité, au cancer... Malgré cela (mais je dois l'avouer : jusqu'à une certaine limite) eh bien, je ne crains pas la vieillesse. Parfois je me dis que serai davantage épanoui à soixante ans qu'aujourd'hui. Ce n'est pas que je n'aime pas être jeune. Mais, quand je dis que ma jeunesse me fascine lorsque je suis devant ma glace, c'est bien parce que je ne me sens pas, "jeune". En fait, depuis quelques temps, je conçois une certaine idée d' "être jeune", selon des critères que j'observe chez les étudiants que je rencontre. Mais si être jeune c'est être comme eux, alors je ne me sens pas, "jeune". Et pourtant, quan je dis ça, ce n'est pas vraiment négatif. Au contraire, les "jeunes" que je rencontre constituent de véritables adultes en devenir. Pour moi, ils sont "jeunes" car on voit bien qu'ils sont en train de devenir des "grands", pour de vrai, ces "grands" qu'on se projetait lorsqu'on était petits.

    Est-ce que je suis en train de dire que je ne me conçois pas comme quelqu'un en train de devenir adulte ? Je ne sais pas. Je crois que je dis surtout que je ne m'en rends pas compte. Je n'ai pas l'impression de changer.

    Mais il est certain que je reste profondément attaché à l'enfant qui est en moi et que je tiens soigneusement par la main.

    Ces "jeunes" qui m'entourent sont tellement adultes qu'ils n'ont plus rien d' "enfantin". Et je crois que ça me fait peur. J'ai peur des gens qui ont l'air d'avoir totalement dépassé leur enfance.

    C'est drôle, parce que tout ce truc-là que je suis en train d'écrire, ce n'était pas du tout dans ma première version. Dans la première version, le texte que j'écrivais était infiniment plus court, et je restais concentré sur cette histoire de vieillesse. D'ailleurs, je vais essayer d'y revenir.

    L'idée que j'attache à la fameuse jeunesse, c'est l'idée de devenir grand. Mais l'idée que je rattache à la vieillesse, c'est simplement s'amuser. S'amuser comme un enfant.

    J'ai hâte d'être vieux car à ce moment-là on ne m'enverra plus l'idée qu'il faut que je grandisse. J'aurai grandi, parce que j'aurai des rides, des bourses sous les yeux, et de l'expérience. je n'aurais plus rien à prouver, et je n'aurais plus peur de ces jeunes en train de devenir adultes. Je savourerai mes vieux jours en accomplissant ce que je n'aurai pas fait plus tôt, et en déconnant tranquillement.

    Oui, j'aime bien cette idée.

    (Au départ, j'allais tourner autour de mort. Puis j'ai changé l'aiguillage, j'ai tourné autour de la vieillesse, dans un texte très court. Mais tout s'est effacé, et j'ai encore changé d'aiguillage. Je parle bien plus de la jeunesse que de la vieillesse, et mon texte est ici beaucoup plus long.)


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